Lundi 30 janvier, les deux quotidiens ont fait leur Une sur la nomination de Benoît Hamon à la présidentielle 2017. Bien qu’ils traitent des mêmes faits les journalistes des deux médias ne les analysent pas de la même manière et n’en donnent pas les mêmes conséquences.
Le décryptage de la forme et du fond des deux journaux permet de donner une vision d’ensemble sur l’élection de ce week-end en confrontant les visions politiques du Figaro, journal avec une identité politique de droite et de Libération, possédant une ligne éditoriale à gauche du spectre politique.
La couverture du Figaro propose deux photos, au format identique. Une montrant Hamon, heureux de sa victoire et une de Fillon, dans une position quasi-identique mais avec un regard beaucoup plus guerrier et profond.
Bien que le grand événement du week-end ait été la primaire de la Belle Alliance Populaire, les deux photos ont le même format et sont côte-à-côte. Le quotidien choisit de titrer l’article sur Hamon par
« Primaire : avec la victoire de Hamon, le PS se prépare à des lendemains difficiles »
De son côté, Libération titre son premier article avec une citation du candidat vainqueur « Hamon : "A vous de décider quel peuple vous voulez être"» avec un Hamon de profil au premier plan tout sourire et conquérant sur un fond noir. Un article de 3 pages pour le journal socialiste contre une page unique pour Le Figaro, la divergence est flagrante.
Deux candidats un peu empruntés lors de la poignée de main rue de Solférino
Sur le fond, alors que Libé parle d’une victoire « à près de 59 % des suffrages, battant nettement Manuel Valls », Le Figaro donne simplement les pourcentages exactes « 58,8 % ».
La divergence est encore plus frappante lorsque les deux journalistes analysent la poignée de main de Valls et Hamon sur le perron de Solférino, le siège du Parti socialiste, de manières totalement opposées. Le journaliste du Figaro, François-Xavier Bourmaud, décrit les deux candidats comme « un peu empruntés » avec un « sourire crispé sur le perron de Solferino » pendant que les trois rédacteurs de l’article de Libération dépeignent « La poignée de mains entre Benoît Hamon et Manuel Valls [qui] aura fait mentir le temps d’une soirée tous ceux qui prédisaient une scission du Parti socialiste dès la primaire ».
Au moment où Jean-Christophe Cambadélis, premier secrétaire du parti socialiste, brandit la main de Hamon en l’air en signe de victoire, Manuel Valls, le candidat vaincu, tend lui les 5 doigts de la main pour donner rendez-vous aux français dans 5 ans.
Malencontreuse superposition de discours
Les deux quotidiens se mettent en revanche d’accord sur une chose : « La grande scène du rassemblement aurait été parfaite si le vainqueur n’avait pas pris la parole alors que le vaincu était toujours sur la tribune de la Maison de l’Amérique latine en train de livrer une forme de testament politique » (Libération). Benoît Hamon s’est ensuite excusé de son intervention inopinée mais trop tard le mal était fait ; beaucoup y ont vu un exemple de la fracture irréparable au sein de la gauche. « Entre la gauche “raisonnable” de Manuel Valls et celle “utopiste” de Benoît Hamon, le fossé semble infranchissable. » considère F-X Bourmaud.
Les faits intéressants qui ressortent des deux articles
Au sein du PS, de nombreux députés réformistes, proches du président Hollande, « répugnent à se ranger derrière Hamon » (Le Figaro) et penchent déjà pour un vote efficace en faveur d’Emmanuel Macron. Le Figaro décrypte cette tendance comme une manière de faire payer à Hamon, son caractère frondeur et contestataire qu’il aurait mis en avant pendant le quinquennat d’Hollande.
D’autres élus ont pris la seconde option qui est d’exercer leur droit de retrait de la campagne des présidentielles. Libération affirme cette vision et ajoute que « les trois gauches vont se livrer une drôle de guerre : celle d’une légitimité «démocratique» contre deux légitimités «sondagières». » La première est celle de Benoît Hamon, élu aux primaires de la gauche et les deux autres sont celles d’Emmanuel Macron et Jean-Luc Mélenchon, qui sont plus ou moins en avance dans les sondages. Ces derniers jours, le vent a tout de même tourné pour Mélenchon qui passe derrière Hamon dans les sondages.
Le journal social-démocrate donne un conseil à Hamon en prenant François Fillon comme exemple à ne pas suivre car il a cru « que les forces qui font le vainqueur d’une primaire sont les mêmes que celles qui élisent les présidents. » Hamon ne doit donc pas se reposer sur ses lauriers et doit axer sa campagne sur le rassemblement et l’union de la gauche afin qu’elle soit imposante au premier tour des présidentielles.
Les zones d’ombres dans le programme du vainqueur vont-elles lui porter préjudice ?
Libé dresse le portrait du candidat-élu à l’aide de deux atouts et d’un handicap. Il « a su créer une vraie ferveur autour de son programme et ses idées » et a su révéler « sa personnalité aux français ». En revanche, son programme peut être une épine dans le pied car des points d’ombre restent tels le moyen de financer le revenu universel ainsi que ses ambitions européennes pour la France ; sa politique peut paraître idéaliste et peut effrayer, à lui de rassurer les électeurs en étant le plus transparent sur ses méthodes pour arriver à tenir ses promesses. S’il n’y arrive pas, il sera nécessaire de penser à faire des compromis pour sauver la gauche.